De l’autre côté de la grande frontière ensanglantée, appelée le Chemin des Dames, en l'honneur du légendaire Eustache de Lorraine, Brian buvait son whiskey tout en contemplant les flammes qui crépitaient dans l’âtre de l’immense cheminée de son château de Paris, qu’il avait repris aux dépens d’Ykar lorsque ce dernier s’était enfui sans demander son reste. Aujourd’hui, Brian retrouvait le sourire. Après la révolte de ses généraux qui avait failli lui couter la victoire, il avait délégué à son meilleur et fidèle lieutenant Cinaed de mener ses troupes au Nord. La stratégie mise en place par le roi d’Irlande était simple.
Pour se battre, Ykar avait besoin de place. En remontant jusqu’à la Manche, Brian repousserait son adversaire jusqu’en Hollande, où il serait exterminé facilement. La guerre éclair dont avait rêvé le guerrier roux avait lamentablement échoué, faisant de lui la risée de ses adversaires. Mais qu’importe, Ykar pouvait toujours rire maintenant qu’il régnait sur des montagnes de cadavre. Les nouvelles avaient été si bonnes !
Alors que Guillaume et Muhamad avaient réussi à se replier sans provoquer Marmont et en limitant largement les pertes, faisant au passage subir à Ykar une révolte en Flandres, Cinaed avait mené la Grande Armée à travers la campagne vermandoise. Passé Saint Quentin sans encombre, le jeune lieutenant écossais avait appris qu’Ykar en personne marchait sur les terres qu’il avait jadis possédées. Tout se déroulait selon le plan de Brian et mieux encore. Alors que des dizaines de milliers de jeunes hommes attendaient en Anjou et s’enrôlaient chaque jour, les Irlandais avaient déjà gagné la bataille de Vermand : si Ykar l’emportait, il y laisserait beaucoup de vie et devrait subir la révolte de la population. S’il perdait, il pourrait y laisser la vie… La bataille se livra assez rapidement et dans une confusion folle pour les troupes lorraines. Le Roi déchu de Brabant organisa ses troupes à la hâte et se prépara à recevoir les charges françaises. Cinaed n’était qu’un jeune chevalier sans talent autre que de s’illustrer dans les joutes. Voilà qu’il avait l’occasion de prouver à tous qui il était réellement. Très rapidement, la bataille tourna largement à l’avantage des Irlandais, qui massacrèrent les troupes auxiliaires d’Ykar qui n’eut d’autre choix que de se replier. Plus de 13 000 barbares du Nord avaient mordu la poussière pour moins de 10 000 francs, irlandais et gallois.
Dès qu’il avait reçu le rapport de bataille, Brian fut pris d’un grand soulagement et d’une grande tristesse. En effet, Ykar n’allait pas tenir trois saisons. Totalement démuni, des finances trouées, une armée pulvérisée… Et pire, le noble, le beau Ykar, celui qui avait toujours fait preuve de bravoure, avait lancé un appel officiel aux alliés afin que Sagramor soit obligé de lui déclarer la guerre. Est-ce tout ce dont vous êtes capable Ykar… ? Brian se demandait bien quelle folie avait pris là le maitre de Lorraine avant de se rappeler qu’un couard restait un couard jusqu’au bout. Mais quelle ne fut pas la surprise de Brian lorsqu’il apprit que la si fière Ligue du Nord, celle qu’il était censé avoir « trahie », s’était gentiment séparée de Zoulou, le seigneur balte qui se faisait désormais joyeusement tailladé par Carl. Tout ça pour avoir la paix avec Alexandre, qui, désormais seul maître à bord, n’aurait aucun mal à triompher. La légende était donc vraie ? ne fallait-il pas le regarder droit dans les yeux, sous peine d’être pétrifié ? Quelle folie avait donc pris Marmont en épargnant un des hommes les mieux armés, les plus riches, les plus renommés et régnant sur le plus grand domaine ? Brian ne le savait que trop. Marmont avait eu peur de s’en prendre à un si gros morceau et revenait maintenant pour ramasser Ykar. Piètre tableau. Non, Brian ne pouvait y croire. Malgré toute la perfidie dont était capable Ykar pour effectuer un appel aux alliés de la sorte, le Roi d’Irlande ne put s’empêcher d’envoyer aux seigneurs concernés une proposition de paix plus qu’avantageuse pour le lotharingien déchu. S’il refusait, jamais plus on ne pourrait douter de la teneur diffamatoire des propos d’Ykar, le grand courageux qui avec Marmont, a laissé tomber ses amis, a crié sur tous les toits, a appelé des amis à l’aide… Non, nul ne douterait plus du courage sans fin d’Ykar.
Arda para subire, brûle de t'élever
