Vous l'aurez sans doute compris, noble seigneurs, ce qui va suivre ne sera qu'un résumé partiel, souvent partial et parfois teinté de mauvaise foi, de la campagne vue du point de vue d'Alzgard. Certains passages sont de mémoire. Si mes compagnons souhaitent compléter, nuancer ou même contredire mes affirmations, qu'ils ne se gênent pas*.
Lorsque débute l'ère de Bô Jeu, le contrat moral entre les joueurs est simple, proposé par CFH: nul ne jouera pour être second, nul n'aidera un autre à accéder au trône. La situation stratégique est la suivante, vue de ma Dolon perdue dans les glaces:
-un voisin au sud-est, Théodore-CFH, en Oulu; plus loin, Astérius, dont la position de départ lui permet de rêver à un grand royaume balte unifié (pour une plus grande commodité de lecture, nous dénommerons ci-après Astérius "le chien balte"**);
-un voisin au sud-ouest, Lightinoc de Norbotten, pas loin de Rand de Trondheim;
-plus loin, un groupe de seigneurs dont les survivants devraient se partager le sud et les isles à plus ou moins brève échéance.
Le plan de départ est simple: m'assurer, le plus rapidement possible et à moindre frais, la taille critique de six terres qui permet d'être un seigneur qui compte en Scandie. Les implications en sont simples elles aussi: foncer en Lappland en abandonnant Dolon à sa révolte, et de là, rayonner sur les cinq autres terres adjacentes. Orienter mes deux voisins vers le sud, le temps de m'emparer du verrou de Lorhar-Jarvi. Ensuite, d'ici deux tours à peu près, choisir ma victime en fonction des événements: je penche a priori pour Lightinoc, car CFH est utile pour contenir le chien balte.
Du côté de CFH, pas de souci. Notre intérêt commun nous paraît clair à tous les deux, et nous prenons langue avec Silentrequiem pour organiser une prise en tenaille du chien balte. J'espère toutefois que celui-ci ne chutera pas trop vite à un contre deux. Je compte sur le fait que Silent n'aura pas tout à fait les mains libres, et que CFH mettra du temps à franchir l'embouchure de la Neva. Disons que si le chien balte s'effondre, il sera toujours temps de montrer à CFH ce que signifie l'expression "me tourner le dos".
Du côté de Lightinoc, ce n'est pas tout à fait la même sérénade. Je pensais sincèrement que son intérêt était d'aller dans un premier temps vers le sud, quitte à me contester ensuite, pacifiquement ou non, les terres nous séparant. Il fait un autre choix: foncer au nord, pour me déclarer la guerre. Rien n'y fait, ni mes démonstrations, ni mes suppliques d'orphelin éploré. Sa résolution est inébranlable, il me faudrait être un Orcrist pour l'entamer: ce sera donc la guerre. Ce choix fait par mon voisin est lourd de conséquence et décidera, même si nous ne le savons pas encore, de l'avenir du royaume.
Lightinoc commencera sa campagne en attaquant Narvik. Cette manoeuvre est vicieuse, car elle le place en position de faiblesse: pour ne pas se couper de son fief, il est dès lors quasiment obligé d'accepter une bataille décisive en Vadvetjakko, jouant son avenir à pile ou face. Je décide donc d'accepter cette bataille, dont je sais qu'elle se jouera à très peu de chose. Mais je suis confiant: en cas de victoire, la guerre est gagnée, avec deux fois plus de réserves que mon adversaire;lui ne peut qu'espérer conserver la parité des forces. Il est sur la corde raide, et je dois l'aider à perdre l'équilibre.
La bataille est indécise, comme prévu. Prenant Vadvetjakko le premier, j'ai gagné là un avantage de renommée décisif, qui va me permettre de compenser un léger déséquilibre des forces en ma défaveur. Lightinoc et moi nous séparons finalement après avoir perdu, respectivement, 651 contre 649 hommes. Mais j'ai désormais six terres, dont quatre vierges, contre seulement deux terres non pillées pour mon adversaire. Dans mon pense-bête, je peux rayer la mention: "éliminer Lightinoc". Je commence, déjà, à entrevoir la victoire finale.
D'autant qu'au Sud, Lightinoc ne peut compter sur le soutien de son allié Rand: celui-ci va avoir fort à faire pour contrer l'alliance des deux insulaires, Pathate (du clan des Sternes) et Korn. De plus, James se lance dans une sorte de chevauchée tatare, pillant, tuant et brigandant sur son passage avant de continuer sa route. Cette méthode n'a évidemment pas d'avenir, et je crains qu'elle ne laisse un peu trop de place à Silent. Mais dans l'immédiat, elle gêne Rand, et je n'en demande pas plus.
À ce moment de la partie, les grands pôles de puissance sont déjà constitués ou en bonne voie, et ne bougeront plus qu'à la marge:
-le nord de la Scandie est à moi, avec une excroissance vers le sud-ouest
-CFH occupe la Finlande
-Astérius tient toute la côte sud de la Baltique
-l'alliance Pathate-Korn, plus tard Pathate seul, occupe la côté ouest de Norvège et les isles occidentales
-Silentrequiem possède tout le sud de la Suède, et constitue le point d'équilibre entre Pathate, Astérius et moi: position inconfortable au possible, qui le fera osciller jusqu'au bout, avec un certain talent, entre le désir de contrer l'un et la peur de se dégarnir face à l'autre (et vice versa)
-Lightinoc et Rand font tampon entre Pathate/Silentrequiem et moi
S'il est, dans mon esprit, déjà vaincu, Lightinoc n'en conserve pas moins une capacité de nuisance importante. Or je ne souhaite ni m'épuiser pour le vaincre, ni grossir trop rapidement au risque de coaliser mes ennemis. J'inaugure donc ce qui sera ma principale méthode au cours de cette partie: le contre-temps. Au lieu de foncer pour achever Lightinoc, je lui propose la paix. Un tour: le temps qu'il me faut pour replacer et concentrer mes troupes, et asseoir par la force de mon économie une victoire aisée, sans effort financier particulier. Je crois que Lightinoc m'en voudra pendant un moment de cette petite manoeuvre. Mais après tout, nous n'avions pas spécifié d'engagement de durée.
Pendant ce temps, les anciens alliés des isles, Korn et Pathate, se déchirent. Rand est ruiné, et n'a pas le moyens de soutenir son allié. Je grignote donc tranquillement vers le sud, jusqu'à prendre la populeuse Vasterbotten. Là encore, Lightinoc joue un grand rôle dans mon ascension, puisque je récupère une terre populeuse et relativement riche. A terme, Vasterbotten comptera jusqu'à 60 000 habitants sans double compte***, et me rapportera dans les 6 000 écus par tour. Cas assez rare d'une terre qui est à la fois un formidable réservoir de recrutement, et une excellente pompe à fric.
Mais le temps se gâte pour ma diplomatie: j'approche les dix terres, un flanc "sûr" du côté de CFH, des ennemis divisés ou affaiblis au sud, et cela commence à se voir. Silent, Pathate, commencent à me regarder de travers et s'allient entre eux pour remonter vers le nord. De plus, CFH s'est fait enfoncer par le chien balte, et je vois déjà le moment où celui-ci va venir me rentrer dedans après avori bouffé mon allié tout cru. Il s'est d'ailleurs tramé des choses bizarres entre le chien balte et Silent: alors qu'ils sont en guerre sur la frontière de Gotland, rien ne bouge, et CFH a vu débouler toute l'armée du chien balte en Kymia. Je crois que Silent nous a roulés dans la farine depuis le début. Cela dit, c'est de bonne guerre, même s'il s'agit là d'un jeu dangereux.
Heureusement, c'est au tour du chien balte de commettre ce qui me semble une grosse erreur: au lieu d'écraser CFH et de me rentrer dedans dans la foulée, il signe la paix et envoie CFH m'attaquer... seul. La manoeuvre est trop précipitée: le chien balte est en Kymia, trop loin du front de Livo-Joki pour être d'une aide quelconque à son allié. Je décide d'en profiter, y saisissant l'occasion d'allumer des contre-feux sur le front ouest, pour me libérer les mains à l'est. J'offre la paix à Lightinoc et à Rand, en leur exposant ma situation sous un jour alarmiste: je suis aux abois, pris entre deux feux, et ma puissance n'est qu'apparente. Je sers à peu de choses près la même soupe à Silent et Pathate, investissant au passage dans un accessoire que j'utiliserai régulièrement pendant tout le reste de la partie: un néon rose clignotant, avec l'inscription "LE VRAI DANGER EST ASTERIUS, C'EST LUI QUI VA GAGNER, PAS MOI"****. Je jure mes grands dieux que jamais je n'avancerai au sud de Vasterbotten, et je concède Hergelad à Lightinoc pour qu'il la défende et pour marquer ma bonne foi. À ce moment là, j'ai vraiment peur de deux concurrents: Astérius, peinard dans ses isles, et Pathate, dont le victoire à la joute royale a fait une bête de guerre servie par une grosse armée. Je travaille Silentrequiem au corps, pour le convaincre qu'il faut absolument qu'il prenne Pathate de flanc, sinon celui-ci file vers la victore finale. Travail couronné de succès: Silent rompt son alliance avec Pathate, et cette menace suffit pour stopper l'avancée ce dernier, qui n'a pas les moyens financiers de combattre sur deux fronts.
Un incident, un oubli de ma part, judicieusement exploité par CFH, va bien servir mes plans: blindant l'enceinte fortifiée de Lorhar-Jarvi, verrou de la région, j'avais décidé d'en distraire quelques hommes pour assurer la défense d'Oulanka... puis j'oublie de passer l'ordre! CFH arrive donc avec une poignée de soudards mal dégrossis, et me pique la terre (détruisant au passage son enceinte fortifiée). Je reprends alors ma plume pour écrire à Silent: "Voyez, hein? J'vous l'avais dit. J'suis fichu, même pas capable de défendre mes terres contre CFH. Laissez-moi tranquille, je ne menace rien ni personne". Assorti d'un bon coup de néon rose, comme il se doit. En réalité, après avoir reculé puis temporisé, je reprends dans un deuxième temps l'initiative, balayant un CFH abandonné par ses alliés, jusqu'à parvenir jusqu'en Oulu. Manoeuvre à contre-temps, encore, dont la réussite est grandement favorisée par l'inertie d'Astérius.
Celui-ci semble avoir décidé une fois pour toute que le reste du monde se chargerait de m'empêcher d'atteindre les 16 terres fatidiques, pendant que lui soignerait ses terres et recruterait des chevaliers, accroissant ainsi benoîtement sa renommée, s'approchant tranquillement du seuil des 1000 points. Dès lors, la course au trône se résume essentiellement à un duel entre lui et moi, arbitré par Silent, et un peu par Pathate. Je me rends compte que j'ai trop peu parlé de Pathate, qui mène une partie remarquable depuis le début, mais qui a cumulé trop de handicaps (placement initial, guerres longues, adversaires pugnaces) pour espérer jouer la gagne en fin de partie.
Je tente de convaincre tous mes partenaires de jeu de se liguer, au moins virtuellement, contre le chien balte: même si elles n'ont que peu de poids militaire du fait de l'éloignement, les déclarations de guerre de Pathate, Lightinoc, Rand permettent de l'imiter la progression d'Astérius. Quant à moi, je reste dans une posture stratégique forte, mais statique. Avec treize terres, je pourrais tenter un coup de force: à l'est, un CFH affaibli (et inexplicablement abandonné par Astérius, qui pourrait à présent le soutenir puisque le front s'est déplacé très au sud) ne pourra pas défendre Vaasa ni Mikkeli si je l'attaque sans préavis. À l'ouest, il doit bien être possible de gratter une terre quelque part... Forçant ma nature et faisant terre mes craintes d'une victoire trop rapide d'Astérius, j'attends. J'ai placé un chevalier sur les arrières de mes ennemis, en Fjordane, qui les oblige à mobiliser des troupes dans cette zone, et qui "tâte" leurs défenses. J'observe mes ennemis: prennent-ils des dispositions spécifiques pour contrer mon attaque éventuelle? À l'est, rien: CFH semble abandonné à son triste sort. À l'ouest, c'est moins clair: Silent en Jamtland et Pathate en Trondelag semblent résolus à m'opposer un front uni, et leur proximité géographique permet d'imaginer des scenarii de transferts de troupes massifs. Cette seule éventualité m'oblige à faire le gros dos, renforçant la défense de Vasterbotten en attendant des jours meilleurs.
À ce moment fatidique, je commets une nouvelle erreur. Comme en Oulanka, elle se révèlera finalement bénéfique, et me donnera la clef de la victoire. J'ai prévu que Pathate, me sachant retranché en Vasterbotten, tentera me tourner ma défense en attaquant Lightinoc en Hergelad. Je combine avec celui-ci de lui fournir des troupes, pour qu'il attaque à son tour Trondelag, et s'interpose entre Silent et Pathate. Hélas pour Lightinoc, la confirmation de notre plan arrive trop tard et le transfert ne se fait pas. Mort de Lightinoc. Quand je découvre le résultat du tour, les marques d'une hideuse jubilation envahissent mes traits défigurés par dix-sept semaines de nuits blanches, de calculs et de machinations. Un sourire carnassier découvre mes dents rongées par les deux cent trente-huit pizzas surgelées et les cent cinquante-quatre packs de bière bon marché ingurgités sans quitter mon fauteil de bureau depuis le début de la partie. Un éclair de triomphe luit dans mes yeux rougis, gonflés, exorbités par les deux mil huit cent cinquante-six heures passées devant mon écran. Un ricanement sinistre s'échappe, en grinçant, d'une gorge qui n'a pas émis un som humain depuis dix-sept longues semaines.
Silent n'a pas déplacé de chevalier en Trondelag, et Pathate n'en a pas d'autre dans la région! Comme prévu et malgré le raté du transfert à Lightinoc, mes ennemis sont séparés par Trondelag, chacun réduit à ses propres forces. Mieux encore, leur centre est sans défense, proie offerte à celui qui tendra la main dessus. Je peux désormais m'enfoncer comme un coin au centre du dispositif ennemi; enferme Pathate dans une poche connaissant parfaitement ses effectifs, et l'y réduire en y consacrant la juste proportion de mes forces; tout cela en conservant en Vasterbotten assez de troupes pour réduite Silent au rôle de spectateur impuissant et mortifié. MON PLAN EST DIABOLIQUEMENT GENIAL ! HA! HA! HA! HA! HA!
Ce plan comporte bien entendu une faiblesse, sans quoi l'angoisse de la résolution ne serait pas ce qu'elle doit être. Si mes adversaires prévoient mon projet, ils ont moyen facile de le contrecarrer: il suffit que Rand le Magnifique s'entende avec Silent et Pathate pour me souffler leurs terres sous le nez. Il les attaque, ils ne défendent pas. Rand étant mon allié, mes propres attaques tombent à plat, et me voilà félon, grosjean comme devant. Mes concurrent ne sont pas plus sots que moi: si j'ai pu concevoir mon projet, et en trouver la parade, ils le peuvent aussi. Mais l'oseront-ils? C'est là qu'intervient à nouveau le contre-temps.
En effet, j'aurais déjà pu tenter le coup de force par félonie, mais j'ai attendu. Je peux encore attendre. Et si j'attends, leur parade tombe à l'eau et se retourne contre eux. J'en déduis qu'ils ne prendront pas le risque, et les événements me donneront raison. Après 18 tours de jeu, Indigne de Dolon ceint la couronne royale. Félon, mais en ayant toujours respecté sa parole à la lettre, pour autant que je me souvienne.
Bô Jeu, de mon point de vue, aura été une partie très intéressante, et pas seulement parce qu'elle permet à la maison Alzgard de recevoir le titre de Maréchal. Tous les joueurs ont joué le jeu de se battre jusqu'au bout, même ceux qui n'avaient plus aucune chance de victoire, et je tiens à les en remercier. Cela imposait aux joueurs en position de force d'avancer masqués, de prendre leur temps, de faire profil bas. Cette partie confirme, je crois, ce que je pense depuis longtemps: la diplomatie peut (et doit, autant que possible) contrer l'effet "boule de neige" des mécanismes du jeu, qui donnent naturellement une prime au plus fort. Les autres joueurs peuvent s'allier pour lui faire échec, et c'est là que le jeu trouve son plein équilibre et son plein intérêt. Témoin la durée de la partie, fort longue pour une Scandie. Merci aussi à CFH, l'initiateur de Bô Jeu.
Et bravo à ceux qui m'auront lu jusqu'au bout :)
Alzgard
* Ceci dit, mon point de vue est sans doute le meilleur, puisque j'ai gagné (je vous avais prévenus: il y aura de la mauvaise foi ;-)
** Désolé mon vieux: vae victis, comme on dit! J'espère que tu apprécies cette marque d'insigne gratitude envers l'homme dont l'aide gestion en ligne a changé ma vie.
*** Athys, de Flandres: j'ai pas pu m'empêcher
**** Coup de bol: mon ami Max Guazzini bradait le matériel du Stade Français, il était trop heureux de se débarasser de quelques accessoires pour un peu d'argent frais.