Les étendards flottaient au gré des alizés, se pavannant indolemment comme des vieux matoux depuis longtemps apprivoisés sous la caresse d'une maîtresse attentionnée. Les gonfalonniers qui menaient la tête du cortège, un brin de folie orgueilleuse dans le regard, de celle propre a la jeunesse et qui s'assagit avec les rides, hurlaient au tout venant et aux quelques manants sur leur route de s'écarter, sous peine de recevoir une bastonnade méritée. La cohorte s'élançait d'ailleurs au trot, et les vilains retardataires manquaient de se faire piétiner par les fougueux canassons qui n'enviaient visiblement rien a leurs cavaliers pour ce qui était du tempérament.
Tous se savaient attendus a la cour Impériale, et c'était en ce jour que leur jeune seigneur et maître, dont ils formaient l'escorte la plus fidèle, se devaient de se présenter officiellement devant les pairs du royaume. En effet, Appianus de Chasseloup, fils d'un obscur nobliau, addoubé par le paternel et appelé a lui succéder, avait vu sa maison s'élever de ses yeux; elle n'était encore qu'un chateau de cartes, hissée a la renommée européenne par son aïeul. Il lui faudrait creuser les douves, batir les guérites, renforcer les barbacanes et autres chatelets, fortifier les portes hersées et les ponts-levis d'un prestige naissant et ô combien fragile. Lui, le fils du loup, l'enfant du chien, au milieu des ces lions et panthères, dont le rugissement terrorisait les braves, dont les crocs déchiraient avec aisance la croupe du plus valeureux taureau, se ferait chasseur, ou serait impitoyablement chassé.
"Si je n'en ressors grandi, du moins aurais-je la peau d'un de ces fauves en descente de lit.
-Vous dites, mon seigneur ?
- Rien Marcus, je révais doucereusement."
Marcus Torquatus, tarentin de naissance,fripouille du monde de condition, avait rejoint pour la solde, principalement, son nouveau seigneur-lige. Mercenaire expérimenté, il le conseillait et s'était en quelque sorte pris d'affection et d'amitié pour l'aventureux béjaune. Rude a la fatigue, il chevauchait continuellement a ses cotés, dormait moitié du temps nécessaire, jamais complètement désarmé, et toujours d'un seul oeil; premier levé, il était connu pour ne se satisfaire que d'une eau glacée en guise de toilette, et d'une paire de pomme au déjeuner. Il aimait a plaisanter sur son train de vie spartiate et frugal, qui, d'avis divers d'ailleurs, contrastait fortement avec les sommes d'or et d'argent qu'il possédait, et qui justifiait d'après lui sa longévité sur les champs de bataille.
"Nous serons demain a la capitale. Voulez vous que nous vous y fassions annoncer, mon seigneur ?
- Cela se fait-il ?
- Tout dépend de votre renommée, mon seigneur. L'aventurier passe inaperçu dans la foule, alors que le duc fait prévenir la populace pour recevoir, lors de son passage, les acclamations des badauds et les honneurs des magistrats.
- Alors, faites les prévenir. Qu'ils connaissent d'ors et déja mon nom, et qu'ils en chuchottent les syllabes entre eux."
Dernière modification par de Chasseloup (17/01/2012 18:13:17)
"Sauvage comme le loup, téméraire comme le Chien"